Entrevue avec Pascale Lehoux
Pascale Lehoux est professeur titulaire au département de gestion, d’évaluation et de politique de santé et chercheure à l’Institut de recherche en santé publique de l’Université de Montréal (IRSPUM) ainsi qu’au centre de recherche du CHUM. Détentrice d’un baccalauréat en design industriel, d’un doctorat en santé publique ainsi que d’une formation post-doctorale en Science & Technology Dynamics, ses intérêts professionnels et de recherche ont toujours porté sur la technologie et l’innovation dans le domaine de la santé, intérêts qu’elle décline en trois temps.
Un 1er temps où elle s’est intéressée à l’utilisation des technologies médicales par les professionnels et les patients ainsi qu’à la façon dont on conçoit ces technologies et comment on peut les améliorer. Selon elle, les technologies ne sont pas toujours adaptées au milieu des soins et plusieurs barrières freinent leur utilisation.
Dans un 2ième temps, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les innovations en santé (2005-2015), elle s’est intéressée aux règles du jeu qui régissent les entreprises qui développent des technologies notamment les politiques économiques, le capital de risque et les organismes règlementaires. Elle en conclut que ces règles du jeu favorisent les grandes entreprises qui rachètent la plupart du temps les petites entreprises innovantes issues des milieux de soins.
De plus, ces grandes entreprises qui développent des technologies médicales n’ont pas d’obligation de transparence ou d’informer le public. Par exemple, quels sont les avantages et les risques de se faire implanter une prothèse de hanche plutôt qu’une autre selon son état de santé, son âge…? Que fait-on des informations médicales collectées par des dispositifs médicaux connectés, par exemple des stimulateurs cardiaques qui transmettent de l’information à l’entreprise sans que le médecin traitant et le patient en soient informés?
Plus récemment, titulaire de la Chaire de l’Université de Montréal sur l’innovation responsable en santé In Fieri[1] elle a orienté ses recherches sur l’innovation responsable. Pascale Lehoux est convaincue que les systèmes de santé n’ont pas le choix pour assurer leur pérennité, de se tourner vers des technologies plus robustes, moins coûteuses et plus conviviales.
Avec des chercheurs québécois, ontariens et brésiliens, elle étudiera durant quatre ans une cohorte d’entreprises sociales qui innovent tant dans leur modèle d’affaires que dans le développement de produits innovants. Ces entreprises investissent une partie de leurs revenus dans leur mission à caractère social, par exemple, utiliser des énergies renouvelables, développer des produits éco-responsables, faire travailler des collectivités locales, développer des technologies conviviales et moins coûteuses qui pourraient être utilisées loin des grands centres ultraspécialisés…
Lors de sa présentation au dernier Colloque Jean-Yves Rivard (cliquez ici pour la présentation), Pascale Lehoux a utilisé un article paru dans The Economist pour lancer la discussion. Cet article que vous retrouverez dans notre section Coin lecture, présente une certaine vision des hôpitaux très centrée sur les technologies, sur les médecins et sur le diagnostic. Que pense-t-elle de cette vision? Qu’entrevoit-elle pour l’avenir?
Selon elle cet article nous donne une vision incomplète de ce que devrait être l’avenir dans les hôpitaux parce qu’il ne reconnaît pas le travail d’équipe, ni le contact humain. Le médecin est vu comme un opérateur dans une tour de contrôle où il reçoit toutes les informations médicales de ses patients hospitalisés et à partir de laquelle il gère les diagnostics et les traitements. Selon Pascale Lehoux, c’est une vision qui peut animer les investisseurs qui ne connaissent pas bien le milieu de soins. C’est pourquoi elle invite les professionnels et les gestionnaires du milieu de la santé à exprimer haut et fort ce qu’est soigner et ce dont on a besoin pour mieux soigner et de s’assurer d’avoir un impact sur les politiques d’innovation
Sa vision d’avenir pour le système de santé? c’est de consolider une 1ière ligne forte en développant des innovations technologiques qui soient simples d’utilisation, robustes et peu coûteuses.
Entrevue réalisée par Lorraine Lebel le 27 février 2018
[1] In Fieri expression latine qui signifie ce qui est en devenir, ce qui est en train de s’accomplir
Entrevue avec Marie-Pascale Pomey
Médecin de formation et Ph.D. en Santé publique, Marie-Pascale Pomey est professeur titulaire et directrice de la maîtrise en gestion de la qualité et de la sécurité des patients (QUÉOPS-i) ainsi que médecin conseil à l’INESSS et chercheure au Centre de recherche du CHUM.
Marie-Pascale Pomey a été impliquée dès le début de la création de la maîtrise QUÉOPS-I (QUalité – Évaluation – Organisation – Performance – Sécurité en santé – International) une formation unique en son genre offerte par l’Université de Montréal, en collaboration avec l’École des Hautes Études en Santé Publique (EHESP, France). La maîtrise QUÉOPS-i accueille chaque année une quinzaine d’étudiants, un tiers provenant du Réseau de la Santé et des Services sociaux québécois, un tiers sont des professionnels de la santé formés à l’étranger et un tiers proviennent d’autres disciplines. QUÉOPS-i fête cette année son dixième anniversaire cette année !
La qualité et la sécurité des soins se sont-elles améliorées au cours des dix dernières années au Québec ?
Difficile à dire, répond Marie-Pascale Pomey, les indicateurs actuels ne nous permettent pas de répondre à cette question de manière positive. Pour avoir l’heure juste, il faudrait faire des études longitudinales approfondies à partir des dossiers des patients et ne pas se fier uniquement aux déclarations d’incidents et d’accidents. Mais on peut affirmer qu’il y a eu au cours des dernières années, une prise de conscience importante des milieux cliniques que la qualité et la sécurité des soins sont une problématique réelle.
L’agrément a été un vecteur important d’amélioration de qualité et de la sécurité, mais la démarche des établissements ne doit pas être concentrée uniquement autour de la visite d’agrément. De plus, le Lean qui est un outil d’amélioration des processus devrait être utilisé avec une vision clinique afin d’améliorer la qualité et la sécurité et non pas seulement comme c’est parfois le cas, dans une optique administrative visant à réduire des coûts.
Quelles autres pistes d’amélioration voyez-vous ?
Selon la Dre Pomey, les conseils professionnels tels que le CMDP, le CM et le CII qui ont un rôle déontologique par rapport aux membres de leurs professions devraient travailler en interdisciplinarité et envisager la qualité et la sécurité des soins dans une optique de parcours de soins.
Par ailleurs, la formation initiale des professionnels devrait mettre l’accent sur la qualité et la sécurité des soins en instaurant une démarche de pratique réflexive. Enfin la reconnaissance d’une surspécialité médicale en qualité et sécurité des soins apporterait certainement un appui important.
Sur quoi portent vos travaux de recherche actuellement ?
L‘engagement des citoyens et des patients dans la transformation des organisations et du système de santé est le thème de recherche qui l’anime actuellement. C’est un projet pour lequel elle vient d’obtenir un financement de 500 000 $ du MSSS, du FRSQ et du CRCHUM sur 5 ans (http://crchum.chumontreal.qc.ca/nouvelles/investissement-majeur-pour-la-recherche-en-evaluation-des-technologies-et-des-modalites-de).
Que ce soit pour interagir avec d’autres patients ayant une même problématique ou pour siéger sur des comités comme des comités d’amélioration de la qualité, la Dre Pomey est convaincue que l’implication des patients à tous les niveaux dans les organisations modifiera notre façon de concevoir et de donner des soins.
Entrevue avec Jean-Louis Denis, professeur titulaire au DGEPS
Jean-Louis Denis est revenu au DGEPS en janvier après un épisode de six ans à l’ÉNAP. C’est avec grand plaisir que nous le retrouvons.
Jean-Louis se dit aussi très heureux de revenir au département et de contribuer aux grands chantiers qui amèneront un vent de renouveau au DEGPS notamment, la reconfiguration des programmes et la facultarisation dans le cadre du développement de l’École de santé publique (EPSUM) ainsi que le renforcement du programme de doctorat dans le domaine des politiques et de la gestion de la santé.
Titulaire de la chaire de recherche du Canada sur la gouvernance et la transformation des organisations de santé (2010-2017), chercheur principal pour l’analyse des réformes dans les systèmes de santé au Canada (Subvention des IRSC 2015-2018), chercheur principal dans le projet Regards sur les modes de rémunération des médecins, Volet 1 Analyse comparative, nationale et internationale, des modes de rémunération des médecins et leurs effets sur la qualité et la continuité des soins (commissaire à la santé et au bien-être-FRQ-S, FRQ-SC) ainsi que co-chercheur dans plusieurs autres études pan-canadiennes, Jean-Louis est au cœur de tout ce qui pense en termes de nouvelles tendances dans les systèmes de santé.
Interrogé avec deux autres experts, Joanne Castonguay et Paul A. Lamarche, dans La Presse + du 13 janvier dernier sur les réformes mises en place par le ministre Gaétan Barrette, Jean-Louis Denis ne jette pas tout le blâme des ratées du système de santé sur le gouvernement actuel. Ça dure depuis des années, on est habitués à accepter l’inacceptable dit-il. Ce qui manque selon lui, c’est la volonté politique de changer les choses, la vision d’un niveau de soins que l’on veut assurer à la population et non pas de s’en tenir à la norme du plus petit dénominateur. Le modèle de la première ligne et la question de son financement demeurent selon lui incontournables.
Il n’est pas contre les grosses fusions engendrées par la Loi 10, car selon lui plusieurs grandes organisations internationales sont très performantes. Il questionne toutefois le rythme de ces réformes, la façon dont elles ont été faites ainsi que le niveau de centralisation qui en a découlé.
Enfin, ses recherches l’ont convaincu que changer le mode de rémunération des médecins ne règlera pas tous les maux de notre système de santé, mais revoir la régulation qui l’entoure pourra avoir des impacts positifs.